Il m’arrive, ou plutôt il m’est arrivé, de lire des romans érotiques. J’y
cherchais un écho, à défaut de réponse, aux perplexités qui
m’assaillent lorsque je veux cerner ce qui m’envahit quand parle en
tyran ma sexualité. Les ouvrages de psychologie et de philosophie ne
m’étant d’aucune aide, j’espérais trouver dans ces fictions ce que
leurs sœurs m’apportent sur d’autres plans, sentiments, réflexion,
relations familiales ou sociales, voire action politique. Il n’en a
rien été. Celles que j’ai lues, célèbres ou obscures, m’ont laissée sur
ma faim. Il s’agissait le plus souvent d’un catalogue de fantasmes
assez communs, vaguement insérés dans une narration tantôt maladroite
et tantôt élégante, mais toujours manquant de chair, ce qui est tout de
même paradoxal. Soumission et domination, liens et menottes, mécanique
sexuelle sans le moindre raté… Univers de robots trop bien huilés,
fût-ce à la silicone. Rien de tout cela ne reflétait mon désir ou son
absence, le besoin de tendresse ou de brusquerie, la lutte entre
exhibition et pudeur, honte et fierté. Oui, j’ai vécu des orgasmes
sublimes dans les bras de l’homme que j’aime, comme il m’est arrivé,
dans les mêmes bras, de subir les affres d’un désir qui frôle son
aboutissement sans y parvenir. Oui, il m’est arrivé de tromper cet
homme avec d’autres qui m’étaient indifférents, y trouvant ou non du
plaisir. Et de me laisser séduire par des femmes, proches comme
inconnues, avec le même effet aléatoire. Oui, il m’est arrivé de
fantasmer la violence donnée ou subie, et même le viol, avilissement
suprême qui pourtant me fait horreur. Il y a dans mon jardin secret des
recoins semés de ronces plutôt que de roses. Cette complexité de la
sexualité humaine, et particulièrement féminine même si les hommes sont
loin d’être des orgasmes sur pattes, avec ses richesses et ses misères,
ses exaltations et ses désespoirs, son amalgame intime aux sentiments,
aux sensations d’une autre nature, aux pensées, je ne l’ai jamais
trouvée dans ces livres, dont j’ai cessé la lecture. Jusqu’au jour
où l’envie m’a prise d’en écrire un à mon tour, d’y mettre au service
de l’expression sexuelle une transposition de mes expériences et ma
science de romancière (cet ouvrage, sur conseil de mon éditeur, étant
publié sous pseudonyme). J’ignore si j’y suis parvenue. Mais j’ai vibré
en l’écrivant. Puisses-tu, lecteur, faire de même en le découvrant.
Mara Dee. |